Voilà maintenant un mois que je voyage en compagnie de Kathleen, cette étrange peintre américaine de Philadelphie. Un mois et toujours pas de dommages collatéraux. Pas de bataille féroce, pas de baboune, pas de membre manquant, pas de scène ni de dispute. Pas mal, non? Bien sûr, elle perd parfois son sourire, mais j'ai appris que c'est simplement parce qu'il fallait la nourrir un peu. Depuis quelques jours, nous sillonnons le Nicaragua et ses merveilles, mais il est maintenant temps de le quitter: j'ai une passagère à livrer, moi!
De l'Île d'Ometepe, nous faisons route à bord d'un traversier rudimentaire sur lequel ma moto vacille au rythme des vagues du lac Nicaragua, tout en fleuretant avec son voisin, un étalon mécanique nommé Dakar. Une fois sur la terre ferme, je mets plein gaz et me dirige vers la frontière du Costa Rica. Le vent souffle en violentes bourrasques. Je dois ralentir drastiquement la cadence afin de ne pas être projeté au sol à chaque fois. Quelques instants plus tard, un peloton d'immenses éoliennes se dressent devant nous. Leur gigantesques lames fendent l'air en produisant une bourdonnante symphonie. Le sourire aux lèvres, on ne se doute pas ce qui nous attend...
J'arrive au poste de frontière. C'est un vrai cirque! En l'absence d'indication, les gens circulent à qui mieux-mieux. Au bout de quelques zigzags, j'aperçois une meute de motards stationnés près d'un bâtiment. Pendant que Kathleen monte la garde sous un soleil battant, je tente d'obtenir la formulaire qui me permettra de sortir la moto du Nicaragua. Au premier guichet, on m'envoie au second. Au second, on me demande d'abord un papier estampé par les douanes. Aux douanes, on requiert d'abord une inspection de la police nationale et la signature d'un agent autorisé. La police nationale, elle, rechigne à son tour en voyant mes papiers d'immatriculation du Guatemala et ne sais que faire. Je sors mon donc mon air de chien battu presque véridique et tente de m'en sortir avec un espagnol des plus mielleux. Ouf, il a signé!!! Yé!!! Mais c'est pas fini...
De retour aux douanes, je présente fièrement ma signature policière, comme un enfant présente à ses parents un premier «A» sur un bulletin. Surpris, l'agent fronce le sourcil et inspecte à la loupe mon passeport (avec mon nom à coucher dehors), mon permis de conduire (qui n'a pas la classe motocyclette), mon certificat d'immatriculation (qui n'est pas encore à mon nom) ainsi que mon titre de propriété (que je viens de déchirer en deux par erreur). Je compte le nombre de rides qui viennent de se former sur le visage du douanier et estime mes chance de sortir de ce pays à moins de 12,3%. Je fais appel à mon air de chien battu, mais je sens que c'est sans espoir. Il jappe des mots que je n'arrive pas à décoder, car il porte un masque anti-grippe H1N1. Pendant de longs moments, je tends l'oreille à travers le minuscule trou du guichet et le fais répéter à plusieurs reprise. ¿Disculpa? ¿Como? ¿Qué? ¿Mandé? À bout de patience et rempli de colère, il empoigne ma pile de documents et l'étampe violemment de la mention «Approuvé». Victoire!!! Mais c'est pas fini...
De retour au guichet #2, c'est l'horreur: toute la meute de motard est en file devant moi. Je crois que je suis parti pour coucher ici. Je patiente en file 10 minutes, puis m'aventure au guichet #1, où un agent roupille en comptant des moutons. Il sursaute en me voyant et, à ma grande surprise, il approuve l'ensemble de mes papiers en 2 secondes et demie avant de retourner dans les bras de Morphée. Je saute de joie et cours vers la sortie, car la meute commence à gronder! Yé!!! Mais c'est pas fini...
C'est maintenant à notre tour, à Kathleen et moi, de passer l'immigration. En apercevant la foule abondante qui s'entasse devant les 3 guichets, le visage de Kathleen se remplit de désespoir. Je prends une grande respiration et nous nous plaçons dans ce qui parait être la plus courte file. Les gens s'entassent comme des sardines. Tout comme cette fameuse grippe H1N1, je me sens à mi-chemin entre un porc, une poule et un humain. Ici les circonstances sont parfaites pour la transmission d'un virus pandémique. Deux heures durant, nous avançons à pas de fourmis alors que le soleil nous cuit le coco. Derrière son masque, un agent nous souhaite finalement la bienvenue avec une face de bœuf. En apercevant nos papiers, il nous envoie tout de go vers le guichet #6, car nous traversons avec un véhicule. Fuck, fuck et encore fuck!!! (vous pardonnerez mon français) Encore deux heures d'attente?!? Impatient, je passe devant le troupeau. Exhaspéré, je fais des yeux de biche à l'agent du guichet #6 qui me fait passer. En deux temps, trois mouvements, il estampe nos passeports. Yé!!! Mais c'est pas fini...
Papiers en main, on enfourche la moto et nous dirigeons vers la barrière qui nous mènera finalement vers le Costa Rica. À la guérite, le douanier examine mon passeport et mes papiers...tout semble lui plaire. À celui de Kathleen, il fronce dangereusement les sourcils: on lui a malencontreusement mis une étampe d'entrée au lieu de sortie du Nicaragua. Chnoutte! Ma moto gronde jusqu'au guichet #6, et moi aussi. Sans remords, je coupe la file qui s'étend à l'infinie et explique gentiment à l'agent qu'il nous a mal estampé. Toujours aussi bête, il corrige son erreur. Yé. Mais c'est pas fini...
De retour à la guérite, on nous laisse miraculeusement passer. YAHOOOOOOO!!!!!, cris-je en apercevant la pancarte de bienvenue au Costa Rica. Je mets plein gaz...pour découvrir une seconde guérite. Mais quoi encore??? Le service d'inspection sanitaire du pays exige la stérilisation de ma moto contre le fameux virus de la grippe. C'est pas ma moto qu'il faut stériliser, me dis-je, c'est les fonctionnaires de ce pays afin qu'il ne puissent se reproduire! Trois dollars plus tard, ma moto empeste d'une substance médicale louche. Mais je m'en fout complètement, laissez-moi sortir!!! Mais c'est pas fini...
Je fais à peine 100 mètres que je suis arrêté par une autre guérite et son gardien. Mais quoi encore?!? On ne peut plus costariquer (voir Petit Harry, page 237) en paix?!? Je découvre à mon grand désarroi que tout le tralala administratif à travers lequel je viens de passer n'était en fait que pour sortir du Nicaragua. Prêt à tuer le premier qui prononce le mot étampe, j'entame le même processus, mais du côté costaricain. Vous n'aurez jamais vu un gars courir aussi vite entre des guichets: douanes, immigration, police nationale, assurances, photocopies, etc... Heureusement pour la vie de tous les gens impliqués, je complète le tout en un temps record de 28 minutes, 33 secondes. Mais c'est pas fini...
La route est encore longue jusqu'au prochain village et, pire encore, Kathleen commence à avoir faim. Ma vie est donc en danger. Je fonce à toute allure, dans l'espoir de trouver de la nourriture sur notre chemin quand soudain, un barrage routier m'immobilise. Mais quoi encore?!? Une longue file de camion-remorques bloque volontairement le passage de véhicules. Nous sommes le premier mai, leur jour du travail, et ils n'ont pas trouvé un meilleur moment pour faire la grève. Je tente le tout pour le tout: je roule sur la voie inverse, sur l'accotement et, parfois même, dans le champ afin d'éviter le troupeau de camions. Un à un, ils me regardent d'un air furieux. Kathleen, elle, arbore son plus joli sourire afin de les apaiser. Ça marche!!! Je serre les dents et continue de foncer droit devant. Mais là...est-ce que c'est fini, là, là?!? OUIIIIIIIIIIIIIIIIIII!!!!!!!!
Six kilomètres plus loin, la piste à obstacle est terminée Nous arrivons au village de La Cruz où mère nature, de concert avec papa Costa Rica, nous nous ont concocté le plus beau des paysages jusqu'ici rencontré...
7 commentaires:
Je ne savais pas qu'au Costa Rica on costariquait! Bravo pour la trouvaille, tu m'as bien fait rire. Au milieu de tous ces déboires, tu gardes ton sens de l'humour qui s'achemine, mine de rien, vers un record Guinness...
Nicole
Comme quoi le fonctionnarisme n'a pas de frontières...
Te recycler comme passeur de frontières serait très payant pour toi et tes psy...
Oncle Mononcle
Salut Harry,
Moi aussi j'ai adoré le verbe Costariquer. J'espère seulement que lorsque tu voudras prochainement Panaméer, Colombianer ou Pérouyer, les choses ne seront pas aussi complexes. J'ai pas mal ri de tes mésaventures et de ta façon de les raconter. Quand j'ai voulu lire cet épisode à Maman, je riais tellement que ça m'a pris un bon 5 minutes juste pour lui lire la phrase où tu dis que "ce n'est pas ta moto qu'on doit stériliser mais les fonctionnaires de ce pays" . J'en suis encore à me demander par contre comment un virus , si porcin soit-il, peut s'installer et vivre tranquillement sur une moto. Peut-être que le système immunitaire de ta moto n'est plus assez fort pour combattre ce virus vu que ta moto a passé beaucoup de temps au garage en contact avec d'autres motos infectées !
Carole
XXX
Aïe! Aïe! Aïe! Des adversaires de taille ces douaniers.
Ton dictionnaire me bidonne à chaque fois. Je vais conjuguer de cette façon avec mes élèves demain. Je costarique, tu costariques, il costarique, nous costariquons, vous costariquez, ils me laissent afin costariquer les salauds!!! Mouahaha!!!
Les cocottes...XXX
J'ai pissé dans mes culottes tellement j'ai ri...Tu me dois donc une brassée de lavage. ;-)
Marie
Harry! Tu avances tranquillement au Sud! Cool! J'espere qu'on pourra "Machu Picchuer" ensemble! :)
A bientot!
Doreen
Waw ça c'est du douanier comme il s'en fait plus par ici!! Astérix serait devenu fou avec eux... Mais bon, te voilà au Nirvana! Bonne cost-harrycation!
Philippe
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